Les différences sources de progrès

L’Aïkido est une voie martiale où l’émulation remplace la compétition présente dans d’autres activités physiques. L’étude se fait en soi et dans l’interaction et l’échange avec son partenaire. A mon sens, le but est de réaliser ensemble notre potentiel dans le corps et par le corps. La technique est le support mais n’est qu’un support pour s’unifier en soi et avec l’environnement. De ce point de vue, il n’y a rien à développer ni à changer. Il s’agit de prendre conscience de ce qui est déjà présent en nous, de la vie qui nous anime. Ce qui peut être perçu comme les limites mentales ou physiques ne sont donc pas réellement des freins à la compréhension et à la pratique de l’Aïkido. A partir de l’instant où l’on peut mouvoir son bras, il est possible de pratiquer. Selon moi, les barrières de l’esprit sont les véritables difficultés qui se présentent aux aïkidokas. 

Cette saison, des jeunes gens en situation de déficiences mentales viennent pratiquer au dojo tous les mercredis matin. J’ai perçu chez eux plus de disponibilité d’esprit à la pratique que chez la plupart des groupes de débutants que j’ai pu recevoir. Ils pratiquent avec beaucoup de présence, d’application et de persévérance. Ils sont à ce qu’ils font et intègrent rapidement gestes et principes.

Récemment, l’un de ces jeunes, qui vit dans un contexte familial très difficile, a été agressé brutalement. Son éducatrice m’a détaillé la scène. Il a su mettre en pratique l’esprit, l’attitude, la tactique et la technique de l’Aïkido dans une situation de violence. Il a conservé l’esprit ouvert. Il n’a pas douté de l’efficacité de ce qu’il avait appris ni de sa capacité à faire fonctionner le mouvement. J’aimerais que tous les aïkidokas puissent en faire autant. Il ne s’est jamais vanté de cette réussite et continue de s’entraîner de façon exemplaire, dans le calme et le respect. J’espère que ces élèves seront suffisamment motivés et qu’il leur sera possible de sortir du cadre des cours avec leur institution pour venir étudier aussi avec les autres élèves du dojo.

Outre les personnes en situation de handicap mental qui sont venues étudier à Brest ces dernières années, j’ai eu l’occasion de recevoir des enfants ou des adultes avec des troubles physiques plus ou moins importants. J’ai pu observer que souvent ces personnes, à l’instar de nombreux débutants, avaient peur de déranger, peur de gêner ou même de ralentir les autres membres. Dans ce genre de cas, c’est à l’enseignant et surtout aux autres étudiants d’accueillir et de favoriser l’intégration dans le groupe. Lorsque nous entrons dans un dojo pour pratiquer l’Aïkido, nous sommes aïkidokas et rien d’autre. Personnellement, je n’ai jamais ressenti de grande différence dans la façon de leur enseigner. Bien sûr, parfois, certains mouvements n’étaient pas faisables, mais qui peut se prévaloir de réaliser tous les mouvements sur n’importe quel individu dans n’importe quelle condition…L’Aïkido possède une gamme de mouvements suffisamment large pour trouver au moins une solution aux différentes contraintes exercées. C’est aux enseignants de trouver les moyens techniques, de faire ressentir le mouvement et de donner à chaque élève les consignes qui le feront évoluer. Que les pratiquants aient un handicap physique ou une excellente condition physique, c’est la même chose. Nous sommes tous différents, nous avons tous des besoins différents à des moments qui nous sont propres. Pour être optimal et sensé, l’enseignement doit être personnalisé.

Selon moi et dans l’absolu, le Handi-Aïkido ou l’Aïkido Adapté ne devrait pas avoir à exister, l’Aïkido suffit et les différences de chaque élève sont sources de progrès pour l’ensemble.