La recherche en soi

J'ai eu la chance de débuter l'Aïkido avec un excellent professeur, mon père, Jean Yves Le Vourc'h, et un maître hors du commun, Tamura senseï. J'ai conscience qu'il m'aurait fallu plus de temps pour appréhender la richesse du travail qui m'était proposé.

Après leur départ, j'ai décidé de m'investir plus avant dans la pratique de l'Aïkido et d'approfondir mon étude. Pour ce faire, je me suis engagé avec des maîtres de budo et bujutsu pour tenter de comprendre ce qui constitue l'essence même de notre pratique. J'ai eu la chance de découvrir, grâce à Léo Tamaki, des enseignants exceptionnels, tous absorbés, chacun à leur façon, dans la transformation du mouvement et de la logique interne de chaque geste: maître Kuroda, avec sa fulgurance et ses capacités de disparition, maître Akuzawa, par le travail de la structure et du dégagement de puissance, maître Hino, par le travail de la lecture d'intention et de l'union, et maître Kono, par ses connaissances théoriques et empiriques de l'ancienne façon japonaise de mouvoir le corps. Ces quelques qualificatifs ne les définissent pas. Ils sont très réducteurs tant les compétences de ces personnes, chacune à son niveau, sont impressionnantes. C'est simplement ce qui m'a touché chez eux lorsque je les ai vus pour la première fois. Ces rencontres, le travail réalisé avec eux, avec mes compagnons de pratique, mes élèves et dans la solitude, ont modifié ma conscience corporelle, ma compréhension du mouvement, mes formes et le sens que je leur donne. L'expérience acquise pendant cette étude, toujours en cours, et les échanges avec d'autres personnes étrangères au monde des arts martiaux m'ont permis de faire mûrir mes réflexions sur la pratique et l'enseignement que je souhaite donner aux personnes qui viennent étudier avec moi.

Aujourd'hui je propose une méthodologie basée sur mes envies de pratiquant et les besoins que je perçois chez les élèves. Je séquence à présent mon enseignement en trois modules complémentaires: l'exploration corporelle, l'étude des principes de mouvements et l'étude des formes et des armes.

L'exploration du corps

exploration corporelle Aiki-taisoL'exploration corporelle est une étude sans recherche de résultats. Les élèves sont amenés à prendre conscience de leur corps, de son fonctionnement, sans jugement et sans idée de performance. Il s'agit de percevoir le corps tel qu'il est ici et maintenant. C'est à mon sens le seul état d'esprit à même de favoriser la détente et le relâchement. Les exercices sont très variés, pour ouvrir le champ d''expérimentation. Ils favorisent la conscience de l'axe, l'harmonisation des tensions dans le corps, l'extension, la coordination fine, la fluidité de la respiration, le relâchement dans la contrainte, la sensibilité du corps, ainsi que la mobilité. Ce cours est aussi et surtout un temps pour se recentrer. Cette pratique est selon moi un prélude indispensable. Nous avons tous une histoire de vie et une histoire corporelle différente qui impacte le corps en profondeur. Sans une exploration ou introspection corporelle, il me semble difficile de modifier les schémas et habitudes de mouvements. C'est aussi un excellent moyen de conserver une bonne santé.

Principes de mouvements

étude du mouvementL'étude des principes de mouvement constitue pour moi l'essence de la pratique. Elle a pour visée la transformation de tous les mouvements corporels. Elle induit aussi une modification des représentations de son corps, de celui du partenaire ou de l'adversaire, et de l’interaction avec l'autre. Il s'agit à mon sens de réaliser en soi les potentialités fines du corps et de les actualiser. Pour ce cours, je ne souhaite pas tant apprendre aux élèves, qu'apprendre avec eux. C'est une démarche sans fin, et je n'ai pas la prétention de maîtriser ces principes, mais de fournir un cadre de travail permettant d'intégrer une façon différente de mouvoir le corps. Les compétences que je souhaite développer sont: l'absence de force, l'absence de poussée dans le sol, la vitesse constante, l'unité du corps, les liaisons corporelles, la lecture d'intention, l'union à l'autre et l'accueil de toutes formes de contrainte. Cette pratique est évolutive et se perfectionne au fil de ma propre évolution.

Les formes et le travail aux armes

étude des formesSi les principes constituent pour moi l'essence de la pratique, ils ont besoin d'une forme pour se manifester. Les formes donnent du sens au mouvement, et à l’interaction entre tori et uke. Elles sont l'expression des principes dans un système de contraintes régi par le sens du combat de survie. Les contraintes, ou attaques, se doivent d'être de plus en plus intenses, efficaces, redoutables pour obliger tori à puiser dans ses ressources, à étudier de façon plus profonde l'essence du mouvement. Une émulation naît alors entre tori et uke. Cependant cette émulation doit avoir un sens, et développer les compétences de tori, mais aussi de uke car travailler dans un sens correct une fois sur deux est une perte de temps et de logique dommageable pour la pratique. Ainsi, les mêmes principes et les mêmes compétences doivent être développés par uke et tori. Les formes doivent aussi se travailler sur des attaques et des actions de plus en plus libres, pour développer les capacités d'adaptation, d'accueil de l'inattendu, et de créativité. 

Le travail aux armes est également essentiel car il met en exergue la pertinence de l'étude des principes, et oriente la pratique à mains nues vers une finesse et un raffinement différents. Nous devrions toujours nous imaginer que, peu importe l'attaque, la saisie ou la technique, il peut y avoir une arme, même cachée. La force brute, les heurts, la fixation des appuis deviennent alors des aberrations. Le travail devient aussi plus précis, exigeant, âpre même, mais ne pratiquons-nous pas une voie où l'autosatisfaction n'a pas sa place?

Tous les maîtres que j'ai rencontrés ont leur façon de transmettre leurs connaissances, et leur travail est l'aboutissement d'une vie de pratique. Si étudier auprès d'eux est essentiel, je pense que tenter de "faire comme" est une impasse. Il ne peut y avoir de véritable rigueur sans créativité, et on ne peut pas évoluer sans sortir des cadres, sans considérer l'ensemble de ses propres problématiques, et sans donner du sens en soi.  Il existe un adage qui dit "qui imite le maître réalise le singe". L’Aïkido est pour moi une voie de réalisation, or on ne réalise rien en dehors de soi. C'est donc en soi que je vous propose de chercher pour rendre la pratique vivante.