Les saisies en Aïkido, le contexte martial

Saisie en Aïkido dans un contexte martial

Les saisies, au même titre que les atémis, sont une composante fondamentale de la pratique de l’Aïkido. Elles servent à ressentir la structure corporelle de l’adversaire et ses mouvements, à  déstructurer, à déséquilibrer, à recevoir et rediriger, à projeter, à fixer, à immobiliser, à étrangler et dans les pires cas, à briser, démettre, arracher. 
Pendant les entraînements, les saisies sont utilisées par le Uke pour  attaquer et par Tori lors des réalisations techniques. Il est à  noter que les désignations de Uke et Tori, que j’emploierai ici, ne sont que des rôles interchangeables attribués pour faciliter la compréhension d’une partie de l’étude. Ces rôles duels ne reflètent ni les interactions fluctuantes du combat ni l’état d’esprit d’un budoka. Par souci de clarté, je n’aborderai dans cet article que ma vision de l’étude des saisies du point de vue du Uke.

Saisie en Aïkido dans un contexte martial

Saisie pendant une démonstration d'Aïkido à Brest

Au sein de l’école Kishinkai, le contexte martial théorique est basé sur la survie et la non acceptation du combat. Le but de Tori est d’optimiser ses chances de survie. Le but de Uke est de chercher à neutraliser son adversaire par tous les moyens dont il dispose. L’attaque ne peut donc pas être limitée à  un seul geste. Il y a peu de chance par exemple, de terrasser un adversaire avec un seul Chudan Tsuki porté. Il doit donc y avoir une recherche de continuité de l’action offensive jusqu’à  ce que l’objectif soit réalisé.
Selon cette logique, les saisies sont toujours effectuées dans le cadre d’une action plus large. Lorsque l’on attaque, saisir pour saisir ne représente pas une menace réelle. La saisie est réalisée à  un moment de l’action offensive. Uke doit franchir la distance qui le sépare de son adversaire et réaliser sa saisie pour une action donnée: frapper, couper, effectuer une technique, amener au sol…

Dans les cours, il est important que les élèves expérimentent les possibilités des saisies dans cette poursuite de l’attaque, en variant les angles d’entrée sur l’adversaire et les distances d’approche. Ils doivent aussi explorer la pertinence des différentes saisies en fonction de la garde ou de l’absence de garde de l’adversaire. L’intérêt des saisies devient alors concret et révèle dans le même temps leur richesse et leur efficacité.
Dans ce cadre d’entraînement, les élèves sont aussi amenés à  comprendre que la saisie doit être maintenue uniquement si elle sert leur attaque. Elle doit être lâchée dès que la situation devient défavorable. L’objectif est de prendre le dessus sur l’ adversaire. Tori et Uke cherchent  tous les deux à  développer leurs compétences, ils doivent donc s’évertuer à  obtenir et à maintenir une position avantageuse jusqu’à  la résolution du conflit. 
Prenons l’exemple de la saisie Ai Hanmi Katate Dori.

Saisir le poignet de l’adversaire sans autre motivation ne présente pas d’intérêt martial. Il me semble impossible de contrôler le corps d’un combattant non coopératif avec une saisie unique au poignet.

Si le sens donné à  cette saisie est d’empêcher la personne qui vous fait face de sortir une arme, alors Il faut accompagner cette saisie d’une action décisive car votre adversaire peut chercher à dégainer mais il a aussi d’autres options martiales.
En considérant une situation à  mains nues, saisir le poignet présente un intérêt si les mains de votre adversaire sont en garde médiane ou en garde haute. La saisie en tirant, poussant ou coupant, permet de neutraliser un court instant la main avant du partenaire pour rentrer dans sa distance en le déstructurant ou en le fixant, ce qui permet de poursuivre l’action offensive. Dans ce cas, les réactions de l’adversaire amènent souvent Uke à  lâcher la saisie initiale pour progresser au cœur de la garde adverse.
Si l’adversaire a les bras le long du corps, la saisie en Ai Hanmi Katate Dori, ne présente pas d’intérêt si l’on se situe face à  Tori. Pour venir attraper le poignet de Tori, Uke se place dans une situation de très grande vulnérabilité. Dans ce contexte, attaquer de côté ou de dos pour saisir et frapper ou réaliser une technique semble bien plus pertinent.
Ces contraintes sont exigeantes pour le Tori. Quand  l’intensité de l’entraînement est graduée, ces contraintes améliorent la disponibilité corporelle et le relâchement. Elles permettent la prise de conscience que chaque tension, chaque fixation est un appui directement exploitable par Uke.
La pression temporelle de ce type d’attaque impose aussi un mouvement immédiat et sans préparation. Les notions de Kanjiru, d’Awase, de Musubi, d’Irimi et de perception de l’intention deviennent plus claires et s’actualisent de façon sensible.
C’est le sens donné aux interactions et les contraintes que les pratiquants expérimentent qui développent les compétences martiales. Si le cadre de pratique est flou, de nombreuses incohérences apparaissent et s’installent dans la pratique. En tant qu’enseignant et pratiquant, Il faut sans cesse questionner le cadre d’entraînement. Il me semble important pour le développement de l’Aïkido d’expliciter clairement les contextes d’étude quels qu’ils soient, et de proposer des systèmes cohérents et sensés.

Article écrit par Tanguy Le Vourc'h, publié dans Dragon magazine n°24.
Crédits photo : Daniel Molinier